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Histoire d’intérieur – Épisode 1 : Le couloir oublié


Imaginez un jeune couple, leur petit garçon, et un appartement tout neuf.

Un rez-de-jardin lumineux, tout juste sorti de terre, avec la promesse d’une vie paisible et moderne.

Trois chambres, deux salles de bain, un dressing, une buanderie, et un grand jardin. Sur le papier, tout était parfait.

Mais pour ce couple, le salon n'était pas assez grand.

Un espace de vie ou ils devaient à la fois installer une table assez grande pour recevoir et un coin salon suffisamment spacieux.

Et pour des gens qui rêvaient d’inviter, de partager, de vivre dehors comme dedans, c’était frustrant.

Ils ont fait appel à une architecte pour revoir les plans.

L’idée ? Réduire la taille de leur chambre pour agrandir le salon.

Sur le moment, tout semblait logique : un compromis raisonnable.

Et puis, ils ne se sont pas entendu avec l'architecte et c'est là que je suis intervenue pour reprendre le projet.

Ils m’ont raconté leurs envies, leurs contraintes :

un grand dressing, de la place pour des toiles car l’un d’eux avait un parent artiste peintre,

et une cuisine généreuse, parce qu’ils cuisinaient beaucoup.

La cuisine, donc, intouchable.

Et plus tard, peut-être, une véranda dans le jardin, pour créer un coin repas.

Lors de nos échanges, la cliente a lâché une petite phrase, presque au détour d’une conversation :

“C’est quand même dommage, ce couloir-là. On perd beaucoup de place.”


Cette phrase, je l’ai gardée en tête.


Le soir même, je me suis installée devant le plan.

J’ai d’abord dessiné ce qu’ils m’avaient demandé : deux versions conformes à leur souhait initial.

Et puis… je me suis posé une question :

“Et si je faisais comme si je n’avais aucune contrainte ? Si je devais créer leur espace de vie idéal, sans suivre leurs directives à la lettre, qu’est-ce que je ferais ?”

Alors j’ai osé.

J’ai repensé tout le plan autour de cette idée : ne plus perdre d’espace.


Le couloir faisait face à la cuisine, longeait une buanderie, une partie de la chambre et la salle de douche.

J’ai supprimé la buanderie et allongé le dressing .

J’ai élargi le couloir, reculé des cloisons.

Résultat : un espace central plus généreux, qui offrait enfin un vrai coin repas, intégré au cœur de la maison.


La chambre est devenue un peu plus petite, certes.

Mais elle gagnait en clarté puisqu'on lui laissait la fenêtre vue sur le jardin.

Le dressing, lui, s’étirait sur toute la longueur du mur — spacieux, fonctionnel, digne d’un rêve d’organisation.

Et la salle de douche, plus compacte, restait parfaitement utilisable.


Quand je leur ai présenté cette version, leur première réaction a été… la surprise.


“Ce n’est pas du tout ce qu’on vous avait demandé.”


Non.

Mais à force d’y réfléchir, ils ont fini par se dire que c’était, en réalité, exactement ce qu’ils espéraient, sans jamais avoir osé le formuler.


Leur nouveau plan offrait un vrai salon pour recevoir, un coin repas convivial sans attendre la future véranda,

et une circulation fluide dans tout l’appartement.

La chambre ?

Parfaite, finalement.

Suffisamment grande pour y vivre sereinement, sans compromis.

Et le dressing… plus grand que ce qu'ils avaient espéré.

Tout est venu de cette phrase :

“C’est dommage, ce couloir.”

Ce couloir oublié, c’était la clé.

Et c’est souvent comme ça que je travaille :

je pars de ce qu’on me demande,

mais j’écoute surtout ce qui n’est pas dit.


Parce qu’au fond, dans chaque projet, il y a toujours une part de rêve qu’on n’ose pas formuler.

Et c’est là que la vraie magie opère.


Valérie Graechen






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